Une découverte inattendue.

Liam était allongé depuis ce qui lui semblait être des heures dans la calle de l'Ombre. Il attendait. Il le savait, il serait découvert rapidement. Avec les premières lueurs de l'aube viendrait la marée, et l'équipage. Des écumeurs probablement, le navire étant à l'écart des autres, au bout du quai.

Il avait faim, et froid.
Ses vêtements étaient toujours humides de son plongeon dans la baie, son corps était secoué de frissons incontrôlables. Dans son état il ne pourrait pas se défendre, il ne pourrait pas lutter. S'il devait fuir, il n'aurait encore qu'une solution : plonger. Et encore, il n'était pas sûr d'y survivre une nouvelle fois.

Dans tous les cas il ne pouvait plus retourner en ville. À l'heure qu'il était, les marchands avaient dû donner son signalement à la garde et ses longs cheveux bleus étaient bien trop repérables à son goût.

Il trouva soudain son idée complètement folle : pourquoi des écumeurs auraient-ils besoin d'un gamin comme lui, qui ne connaissait rien à la navigation si ce n'est les manoeuvres et le chargement des marchandises à quai ?
Il chassa rapidement cette idée de son esprit. Il était suffisamment mal au point comme ça, il n'avait pas besoin de se rajouter des angoisses supplémentaires.
Après tout, les écumeurs prônaient des valeurs de liberté et d'honneur, il avait toujours sa chance.

Sur ses pensées, son esprit s'engourdit et sombra. Il s'évanouit à moitié.
Il passa plusieurs heures dans un demi-sommeil lourd et profond.


Il se réveilla en sursaut. Des bruits se faisaient entendre sur le pont. L'équipage était de retour !
Bien réveillé, il calma les battements rapides de son coeur et attendit, avec un air calme cachant au mieux ses appréhensions, qu'on le découvre.

Ce qui ne tarda pas.

L'Ile. La terre ferme. Cirden n'avait jamais été trés à l'aise lorsque le sol sous ses pieds ne mouvaient pas au gré des vagues. Mais il fallait bien se poser par moment pour pouvoir ravitailler le navire, le réparer -car l'Ombre ne rentrait jamais au port sans avoir essuyé quelques batailles par-ci par-là...- et puis permettre aux hommes de retrouver familles, boisson & tout ce que cela entraîne. Ils avaient accosté voilà deux jours au port de l'Ile, et Dawn avait fait remarqué qu'aprés l'attaque de la nuit qui avait précédé leur arrivé, une semaine au moins serait nécessaire pour pouvoir remettre le bastion en état de naviguer. Une semaine, une multitude de passage de l'Etoile de l'Ile. Le jeune capitaine se demandait bien ce qu'il allait faire, quand ce n'était pas comment Dawn allait l'empêcher de reprendre la mer prématurément.

La nuit à l'Auberge centrale -une chambre lui était réservée depuis des lustres- avait été courte. Et mouvementée. Il faut dire que le grog de l'Ile était autrement plus fort que celui qui gisait dans la cale de l'Ombre, trop souvent coupé avec de l'eau pour illusionner un stock jamais à sec. Quelques joutes avec de pauvres ivognes à qui les brumes de l'alcool avaient fait perdre la raison, une rencontre plutôt plaisante mais qui n'aboutit pas, une rouste fichu à ce satané Crabe, le moussaillon de l'Ombre... Une soirée comme tant d'homme des mers ont connus et connaitront tant que le rhum coulera. L'aube se levait, éclairant le visage pâle du capitaine, allongé sur son matelas de plumes. Il n'avait même pas pris le temps d'enlever ses bottes crasseuses & sa chemise suintante la veille; l'aubergiste allait encore râler. Mettant péniblement les jambes à terre, il s'avança en divaguant vers la cruche d'eau pour s'en verser une bonne moitié sur le visage. Les idées remises en place, il jeta mécaniquement un regard vers son lit, vide cette fois-ci. Soupir. Pas d'explication à donner, pas de discussions inutiles, ça avait parfois de bon côté la solitude.

Quelques minutes plus tard, le Capitaine avait rejoint son navire, déjà occupé par la plupart de l'équipage. Traversant le pont en direction de sa cabine, Cirden remarqua pourtant l'absence de deux personnes : Dawn, sa sous-capitaine pourtant ponctuelle -Cirden pria en levant les yeux aux ciel qu'elle ne soit pas en ce moment même en train de se noyer dans un bain de sang-, et Crabe, le moussaillon qui commençait sérieusement à lui taper sur le système. Alors qu'il allait ouvrir la porte, des cris graves se firent entendre vers la trappe au centre du pont.

Matelot - Un passager clandestin ! Un clandestin !

Dawn surgit comme un diable sur le pont. Elle venait juste d'essuyer une attaque en règle de poisson morts, lesquels s'étaient répandus au sol depuis un chargement mal arrimés, formant une marée assez impressionante qui avait bien failli l'avaler. Assez mécontente de s'être vue tenue en échec pendant dix bonnes minutes par un amas de poiscaille puante, la seconde de l'Ombre avait finit par faire un énorme détour qui l'avait mise en retard. Elle gravissait enfin la passerelle qui la mènerait à son navire quand des cris assez indistincts retentirent.

Elle avisa Cirden qui semblait sur le point de rentrer dans sa cabine lorsque les vociférations en provenance de la cale avaient attiré son attention. tout en échangeant un regard interloqué avec le capitaine, la jeune femme saisit enfin la phrase que répétait le matelot en boucle:

"Un passager clandestin ! Un clandestin !"

La Tempête bondit vers la trappe. Un passager clandestin? Voilà qui était aussi innatendu qu'original. Après le raz-de-marée de poissons, elle espérait cependant qu'il ne sentirait pas trop fort. Ce genre de personnage attérissait généralement dans les navires après avoir voyagé de nombreuses lieues sans se laver et, qui savait, séjourné quelque temps avec les cochons d'une auberge. Elle-même en avait vu de belle, à l'époque où elle courrait les rues.

Elle descendit quatre à quatre les marches qui menaient à l'étage inférieur, et posa une main apaisante sur l'épaule du matelot qui s'époumonait toujours, menaçant l'intru d'un manche à balais qu'il devait être en train d'utiliser pour briquer le sol.

"Du calme!" tonna t-elle pour couvrir le bruit "Qu'est ce qui se passe ici?"

Elle entendit clairement des bruits de pas derrière elle et supposa que Cirden les avait rejoint. Entre temps, elle avisa une petite silhouette tapie dans l'ombre de deux caisses remplies de rhum et de provisions, à demi emberlificoté dans un filet dans lequel il ne faisait aucun doute qu'il avait dormi. Elle s'avança d'un pas et le jaugea d'un oeil circonspect. D'après ce qu'elle pouvait deviner de lui dans la pénombre, le fameux passager clandestin ne semblait pas très âgé.

"Montre toi" ordonna t-elle sèchement.

Les cris du matelot qui l'avait découvert avaient achevé de le réveillé. Liam n'osa cependant pas se relever de peur que l'on prenne son geste pour une tentative de fuite. Il attendit de voir ce qui allait se passer ensuite. Tout en continuant de brailler, le matelot le repoussait vers le fond de la cale. D'autres commençaient à descendre, ils n'avaient pas l'air de croire en la présence d'un « clandestin ».

Une voix féminine se fit entendre, surpassant les autres. « Du calme! Qu'est-ce qui se passe ici ? »

Un calme relatif revint dans la cale qui semblait être à présent rempli d'Ecumeurs. La jeune femme qui avait calmé les matelots se tourna vers lui. Elle semblait sûre d'elle et elle le jaugea en un clin d'oeil.

« Montre toi . »

Liam décida d'obéir. Pour calmer l'équipage entier, elle devait être importante dans la hiérarchie du bâtiment. C'était à elle qu'il devait s'adresser.

Liam essaya en vain de se relever sans se prendre les pieds dans le filet dans lequel il avait dormi. Il s'affala par terre . Les pieds dans les mailles du filets, le ventre,vide, tordu par l'appréhension, il respira profondément, et entreprit de se dégager rapidement.
Il y eut quelques éclats de rire, cependant, il se releva, fier.

Il essaya en tout cas de le paraître. Au milieu de tous ces marins, il n'en menait pas large. Il était à leur merci. Si l'un d'eux décidait que sa place n'était pas à bord, les étoiles seules savaient ce qui pouvait lui arriver...

Il releva la tête et remit ses longs cheveux en arrière de manière à ce que tous puissent voir son visage et fixa la femme qui lui rendait son regard.
Il ne tenait pas bien sur ses jambes et mesurait bien une tête de moins qu'elle mais il resta malgré tout de même droit et immobile devant son interlocutrice. Ils s'affrontaient du regard dans un duel qu'il savait ne pas pouvoir gagner, il se détermina alors à ne pas abandonner, quitte à perdre.

Lorsqu'il parla, son ton était déterminé, mais sa voix était rauque, il avait soif.

« Je n'ai plus rien qui me rattache ici. Je veux prendre la mer et découvrir de nouveaux horizons. J'ai tout à apprendre, alors s'il vous plaît, acceptez moi avec vous et apprenez moi. »

Sa voix se brisa sur ses derniers mots. Ses yeux étaient toujours accrochés dans ceux de la jeune femme. Il attendait sa réaction.